KikouBlog de philtraverses - Mars 2016
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dernier choix

Par philtraverses - 28-03-2016 12:39:33 - 7 commentaires

En fouillant dans les souvenirs et écrits de mon frère, je ressors ce vieux manuscrit jauni dont je tire un extrait. Celui du roman qu'il n'a jamais écrit. Car il n'en eut jamais la force. Celle de dominer ses sentiments, de les canaliser, par cet artifice qu'est la littérature. Ecrire, suppose de parler de sentiments qu'on a pas ou plus. Sinon on ne pourrait pas écrire. C'est le paradoxe de l'écriture. Les sentiments dans la littérature, sont des planètes mortes dont la lumière nous parvient des années après..

"En regardant koh lanta ce soir là, il me revient des souvenirs et une expression, qui résume ce qui sera ma vie. Dernier choix. Il s'agit ce soir là de la composition des équipes. Il y a ceux qui sont choisis en premier et puis les derniers choix, les laissés pour compte. Quant bien même ils sont pourvus de quelques talents, comme l'avenir le montrera, comme celui d'allumer du feu.

Nul ne sait ce qui préside au choix des individus dans la composition des équipes. Je regarde attentivement ce qui se passe. J'essaie de sonder la profondeur abyssale de ce mystère. J'ai usé mes yeux à force de lire ce qui s'écrivait sur le sujet. J'ai déjà tout oublié de ce verbiage d'usurpateurs. Je ne retiens plus qu'une chose : Ce ne sont pas forcément les plus forts ni les plus beaux qui sont choisis en premier. Quoique. Non. Il y a quelque chose de l'animalité dans les choix de son ou de ses partenaires, peut être, sans doute, les phéromones, ces fameuses odeurs indétectables consciemment, mais qui joueraient un rôle et seraient perçus par notre cerveau reptilien. Pas d'explications rationnelles en réalité, même si on tente d'en plaquer à posteriori.

Dernier choix. Quelle odieuse expression. Me reviennent alors des souvenirs désagréables de mon enfance. Enfance désagréable. Dont j'ai du mal à dégager quelques souvenirs de bonheur. Pléonasme en ce qui me concerne. Bien sur, les psys, pourvoyeurs de normalité, ci devant grands censeurs, Robespierre de la psyché, ne pourront se retenir d'esquisser un sourire narquois qu'ils cacheront derrière leur petit doigt, ou leur feuille de papier, sur laquelle ils prennent distraitement quelques notes, entre deux assoupissements, impatients que la séance se termine, neutralité bienveillante qu'ils appellent.

Mon père était militaire et je changeais souvent d'école, tous les deux ou trois ans environ. Arriver au milieu de l'année après avoir perdu le bon copain que je m'étais fait avec difficulté, n'était pas chose facile. Etre l'objet de la curiosité, plus ou moins bienveillante de pré ados, quand on est timide et discret et qu'on aime pas se mettre en avant, ce qui était mon cas, est une expérience que je ne souhaite pas, même à mon pire ennemi. En outre, d'expérience, je savais que les premiers qui iraient vers moi, seraient ensuite mes ennemis. Cette règle s'est toujours vérifiée, même à l'âge adulte.

Bien sur, au mieux, le professeur principal de la classe ou j'échouais, tel un navire à la dérive, essayait de m'intégrer et je devais me présenter, dire d'où je venais. Etc. Bref le folklore habituel. Je savais que j'avais quelques heures, juste une matinée, pour m'intégrer, plaire, qu'après, il serait trop tard, car les prépubères n'ont pas cette patience que feignent d'avoir les adultes.

Mais il était toujours trop tard. Je n'avais pas ce charisme, ce magnétisme animal qui fait que vous vous intégrez rapidement et que vous plaisez aux autres. Ou encore cet instinct qui fait que vous acceptez d'être le vassal du dominant de la classe et vous plongez avec délectation dans l'oubli de vous même, et adoptez les postures du dominé, que les vendeurs automobiles connaissent bien, pour les avoir apprises dans quelques cours de vulgarisation mal assimilés, dont l'unique objet est, dans une relation dominant dominé, d'amener le client potentiel à abandonner toute rationalité pour acheter même s'il n'en a pas les moyens financiers.

Bref. J'allais en concevoir, plus tard, à l'âge adulte, une méfiance justement pour les personnes charismatiques qui malgré leurs efforts pour rentrer dans mon cercle intime, si l'envie fantaisiste leur en prenait, sans doute pour avoir un objet sur lequel ils pourraient exercer leur appétit de domination, se verraient toujours systématiquement rejeter à la périphérie.

Le sport, les jeux collectifs, étaient la pire situation à affronter. Particulièrement le hand ball, que je détestais plus que tout. Venait le moment fatidique de la composition des équipes. Je savais que je serais inéluctablement le dernier choix. Bien sur, le professeur de sport allait toujours dans le sens du courant dominant, celui du plus fort, et désignait invariablement les deux meneurs de la classe pour composer les équipes. Pau à peu, le rang de ceux qui attendaient leur tour d'être choisi, se dégarnissait. Je restais alors, invariablement, le dernier dans le rang. Même quand on ne m'avait pas vu encore jouer. Il est vrai que j'étais nul en sport collectif. Quand on m'avait vu jouer, il était normal que je sois le dernier choisi. Mais avant ? . Il devait y avoir cette sorte d'instinct animal qui faisait que, rien qu'à me voir, on pressentait que j'étais nul.

Peut être y avait il l'odeur que je devais dégager, celle de la poisse, une angoisse mêlée de peur, un mélange d'espérance, celui d'être enfin choisi, désiré, et de peur, celle d'être choisi, car je savais que je ne serais pas à la hauteur. Toute l'histoire de ma vie. Où peut être était ce l'expression de mon visage ou de mes yeux.

Plus tard à l'âge adulte, les choses se répéteraient indéfiniment, que ce soit sur le plan professionnel ou autre. Une fatalité, contre laquelle je ne pouvais rien. Pire, qui devenait désirable, car connue, et comme telle rassurante. Plus que la peur de l'inconnu, qui aurait été, d'être, pour une fois, the one, le choisi."

Je referme doucement ce manuscrit de mon frère aux pages jaunies. Jusqu'à la prochaine fois

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