Par philtraverses - 11-09-2018 06:25:58 - 6 commentaires
La jalousie est un sentiment qui ne m’est pas étranger.
Je l’ai longtemps confondu avec l’amour.
Sans doute une vieille réminiscence de mon enfance, durant laquelle mon père me manifesta un certain désintérêt, pou ne pas dire une certaine indifférence, malgré tous mes efforts pour essayer de capter son attention.
Il y aurait à raconter dessus et les longues heures passées sur le divan à tourner en rond dans les méandres de ma mémoire n’y ont rien changé.
Je suis et reste jaloux .
Il en est ainsi des Pyrénées.
J’ai commencé à randonner dans les Pyrénées à l’âge de 10 ans.
Ma famille habitait alors à Pau.
Je me souviens de la première fois, un peu comme un rendez-vous.
Il faisait nuit, il était tôt, la fébrilité dans le chargement de la voiture, les yeux rougis de sommeil, mon père tendu et angoissé, comme toujours, sur notre dos, surveillant tous nos faits et geste, angoisse qu’il m’a légué comme un fardeau.
La carte d’état major de l’armée dépliée sur la table, l’itinéraire étudié longuement par mon père et souligné en rouge.
Il n’y avait pas à l’époque les sentiers surlignés en rouge par l’IGN.
Venait le voyage.
La première fois, ce furent les lacs d’Ayous.
Je me souviens de l’arrivée au parking de bious- artigues. Les odeurs, les couleurs, tout se mélange dans ma mémoire, les carillons des vaches, le frisson de la brise matinale sur le lac de bious artigues, les branches des arbres amicales racontant des histoires à dormir debout.
Une émotion impalpable m’animait alors, mon coeur battait plus vite.
Un seul sens mêlé, les odeurs ont des couleurs, les sons des odeurs, les couleurs ont des odeurs. Nous partions doucement. Je piaffais d’impatience, je voulais aller plus vite, voir derrière cette ondulation de terrain ce qu’il y avait.
Mon père passait son temps à nommer ce que nous rencontrions et ce qui nous entourait, les sommets, les cols... Il s’arrêtait longuement devant les traces des animaux et s’attachait à identifier l’espèce à l’origine de ce terrier, de ces crottes. .
Il me reste de cette période une certaine répugnance à identifier et nommer les sommets, les cols, les montagnes à identifier les animaux, leurs traces et je reste imperméable aux informations qui me sont données sur tout ces points et ne les mémorise point. Un blocage parmi d'autres;
Je préfère rester dans le flou le vague. Après tout ce sont les hommes qui ont donné des noms arbitraires aux sommets et aux cols mais ceux-ci n’ont rien demandé et le nommage n’est qu’une création humaine, une tentative de l'être humain, en nommant, de prendre la maitrise de son environnement sur lequel il n’a en réalité aucune maitrise, si ce n’est pour le détruire méthodiquement..
Je restais admiratif quant à moi devant la puissance des vaches et des chevaux presque sauvages, contrastant avec leur caractère paisible
Les minutes, durant lesquelles nous nous acheminions vers notre objectif du jour, le premier lac d’Ayous, s’écoulaient, étaient des heures, des siècles. L'impatience, autre affect qui me caractérise.
Lorsque le lac n’était plus loin, mon père me permettait de partir devant. Je m’enfuyais alors en courant, loin de cette pesanteur familiale, de cette indifférence que me manifestait mon père et qu’il me manifeste encore.
Mon coeur battait à se rompre, mes muscles perdaient peu à peu leur force et j’arrivais enfin au lac tant espéré, tant désiré.
Arrivé tôt, j’y étais généralement le premier. Je me l’appropriais, le faisais mien et pour mieux l’étreindre et l’aimer, je gravissais un des sommets parfois raides le dominant en m'aidant des mains, en m'agrippant aux herbes. La chute pouvait être dangereuse.
Mes parents arrivaient peu après. Je restais à côté d‘eux et ne participais nullement aux conversations familiales qui m’ennuyaient.
Je rêvais.
L’heure du pique nique arrivait enfin.
Ma mère déployait la nappe, les provisions.
Après le pique nique, je courais autour du lac, explorais encore les environs, regardait dans le lac les vairons nager au bord de la rive.
Venait l’heure fatidique du départ et la redescente dans la vallée et vers la voiture.
Tout le long de la descente, j’étais triste, je me demandais quand j’allais revoir le lac, sentir à nouveau ces odeurs, voir ces couleurs, ces sommets, ces cols, que je ne voulais surtout pas nommer par opposition avec l'attitude de mon père. Nommer me semblait être un obstacle entre moi et mon environnement, cette montagne qui m'enveloppait. Je voulais ne pas avoir la maitrise, me laisser faire. Nommer n'est pas forcément connaitre, formule qui passe au dessus de la tête, je le conçoi aisément.
Après le lac d’ayous, ce furent le lac d’estom, puis le lac de Gaube et toujours le même scénario, et aussi le lac d’Isabe, méconnu.
Toute ces randonnées dans les Pyrénées furent une parenthèse enchantée dans mon enfance qui fut généralement triste, ou que je ressentis en tout cas comme telle, ponctuée par l’indifférence de mon père à mon égard, contrastant avec ses colères lorsque je lui tenais tête et essayais de m’affirmer, avec mes faibles armes d’enfant.
Si dans ma famille, rare furent les moments à partir de l’âge de 10 ans où je me sentis chez moi, sentiment d’être un étranger partout, une pièce rapportée, de ne faire partie de rien, de ne pas être reconnu, de n'avoir aucune filiation comme disait ma psy (cf tteavaux de melanie klein, cyrulnik et autres), qui ne m’a jamais quitté et me hante tous les jours, en revanche, je ressentais la montagne comme étant ma maison, mon chez moi. Ma petite résilience à moi.
C’est ainsi que j’ai compris qu’il y a peu de chances que je fasse des trails dans les Pyrénées et que je n’y prendrai aucun plaisir.
Car je suis jaloux des Pyrénées.
Quoi, partager mes Pyrénées, ces montagnes que j’ai arpenté dès l’âge de 10 ans, avec des gens qui n’étaient alors même pas nés et qui bien sur vont arriver avant moi sur la ligne d'arrivée.
Ressentir les mêmes sentiments, admirer les mêmes lacs, les mêmes sommets, que je serai incapable de nommer, être en concurrence sur ces sentiers que j’ai arpenté, gravi dans mon enfance, puis encore plus tard à mon adolescence, en élargissant le cercle de mes découvertes montagnardes.
Ce sentiment de jalousie, que la plupart ne connaissent pas et qu’ils ne comprennent sans doute pas, m’est insupportable, me serait insupportable. D'aucun diront, à juste titre, que c'est mesquin. Je voudrais être capable de partager. Mais si j'en suis capable dans beacoup de domaines, tel n'est pas le cas lorsqu'il s'agit des Pyrénées.
De plus, j'ai comme handicap de ne pas y être né, de ne pas être resté au village, en bref de ne pas être Pyrénéen. Je suis donc un étranger pour les Pyrénéens et les étrangers aux Pyrénées me considèrent comme un des leurs, ce que je ne veux surtout pas être. Or, je ne suis ni Pyrénéen, ni étranger aux Pyrénées. Je ne suis donc nulle part et de nulle part.